À Dakar, au début des années 70, l’Orchestre du Sahel ambiance six jours sur sept, les soirées du Sahel, principal club de la capitale sénégalaise. 30 ans après son dernier concert, cet orchestre dirigé par le chanteur et percussionniste Idrissa Diop revient avec un nouvel opus enregistré Le Sahel, la légende de Dakar, avec la participation de ses compères d’antan, l’organiste et guitariste Cheikh Tidiane Tall et le saxophoniste Thierno Koite.
"À Dakar, Le Sahel était une véritable institution et son orchestre composé des meilleurs musiciens de la ville, une référence" se souvient le chanteur et percussionniste Idrissa Diop. Créé en 1972 par le milliardaire sénégalais Diouga Kebe, ce club avait son propre son orchestre sur le modèle des grandes formations (Bembeya Jazz, OK Jazz, Orchestre Poly-Rythmo et autres Super Rail Band) qui, à Conakry, Kinshasa, Cotonou ou Bamako, animaient les nuits des lendemains d’indépendance.
"Tous les musiciens sénégalais ou étrangers de passage à Dakar terminaient leur nuit ici. C’était le club où il fallait aller. On était ouvert tous les soirs sauf le dimanche, commente-t-il. On répétait de 10h à 18h, souvent en public, avant de faire une pause pour le dîner et d’attaquer ensuite réellement. En fait, on fonctionnait un peu comme le Shrine de Fela" analyse-t-il, trois décennies plus tard.
"On a vu défiler dans le public et souvent sur scène, lors de bœufs improvisés, Tabu Ley Rochereau, King Sunny Adé, Manu Dibango, les Jackson Five, James Brown, Tabou Combo, Johnny Pacheco, Célia Cruz, Johnny Hallyday, Claude François et tant d’autres encore. Notre répertoire était composé des plus grands tubes du moment, que des amis stewards nous ramenaient des pays voisins, mais aussi des Amériques ou d’Europe. On les écoutait, les réécoutait afin de reprendre à l’oreille et phonétiquement musiques et textes. Ainsi, on jouait de tout. Des musiques africaines, mandingues bien sûr, mais aussi congolaises qui avaient un grand succès à l’époque, du rock (les Beatles aussi bien que les Stones), de la soul, du rhythm’n’blues, de la chanson française et des musiques tropicales (son, salsa, merengue…). On ne comprenait pas toujours ce que l’on chantait" sourit-il aujourd’hui.
"C’était une époque magnifique" se souvient-il avant d’ajouter : "Youssou N’Dour, à peine âgé de 14 ans à l’époque, passait ces nuits ici. C’est là qu’il s’est construit son univers musical, qu’il a entendu ces combinaisons rythmiques enflammées qui l’ont inspiré."
Particularité de cette formation, chacun des membres de l’Orchestre était salarié du Sahel. "On était très bien payé. C’était un bon job qui nous permettait à tous de faire vivre la famille. On ne voulait pas bouger. On n’y pensait même pas" dit-il. Bien sûr, la nostalgie nourrit son propos. C’est avec beaucoup d’émotions qu’il se souvient avoir partagé une semaine durant, la scène avec les musiciens de James Brown. "On ne s’en rendait pas forcément compte à l’époque de la chance que nous avions. On était des hippies de la musique."
Bamba, la genèse de mbalax
C’est en 1975, au cœur de cette époque entre euphorie et insouciance, que l’Orchestre du Sahel enregistre ses 6 premiers titres dont le fameux Bamba. Selon les "archéologues" du mbalax, Bamba serait le premier titre enregistré de ce genre sénégalais très dansant, rythmé par les sons des percussions (tama, sabar).
L’album, faute d’une promo à la hauteur, n’aura pas le succès espéré, bien que porteur des germes des musiques afro-cubaines qui feront danser et chanter toute l’Afrique de l’Ouest à la charnière des années 70 et 80 et dans la décennie suivante. "Le Sénégal n’a plus ce poids aujourd’hui" reconnait celui qui s’avoue parfois un peu déçu des avancées de ses héritiers.
Fin 75, l’assassinat de Baye Fall, un des chanteurs du combo, précipite la fin de l’Orchestre du Sahel. Idrissa Diop rejoint la France et participe à Paris à l’explosion de la sono mondiale, collaborant avec Manu Dibango mais aussi Claude Nougaro, Jacques Higelin, Bernard Lavilliers.
En 1985, il fonde avec Paco Sery et d’autres, Sixun, un groupe précurseur en terme de fusion qui l’ouvre sur le monde au gré des tournées. "J’ai beaucoup appris durant ces années parisiennes. C’était une époque fabuleuse." Approché par le guitariste Carlos Santana dont il devient le percussionniste et l’ami, "le frère" comme il dit, Idrissa Diop, s’impose sur les scènes du monde entier.
Retrouvailles
Rentré au Sénégal il l y a 6 ans afin de partager son savoir avec la jeune génération de musiciens sénégalais qui le considère comme leur père, Idrissa Diop retrouve l’organiste et guitariste Cheikh Tidiane Tall et le saxophoniste Thierno Koite, deux de ses vieux amis du Sahel.
Lors d’une discussion avec le producteur Nick Gold (World Circuit), il parle du Sahel que l’homme, à qui l’on doit le succès du Buena Vista Social Club, ne connaissait pas. "C’est lui qui m’a suggéré de relancer le groupe" se souvient le musicien qui devient son propre producteur pour la sortie de cet album enregistré dans un studio à Dakar.
Pour la diffusion, il décide de travailler avec Gilbert Castro et Antoine Castro, le fils de ce dernier. "Gilbert a tant fait pour les musiques africaines qu’il ne pouvait en être autrement. C’est ma façon à moi de lui rendre la monnaie, de le remercier pour son travail et sa passion."
Le Sahel, La Légende de Dakar (Africa Productions/Celluloïd/Rue Stendhal) 2015