"Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des chansons… Elles ne sont pas bien dangereuses… Elles sont bien pires que ça !" Sur la scène du Café La Pêche, à Montreuil, Billie Brelok la gouailleuse, Billie Brelok la killeuse, donne le ton. A la fin de son titre, qui évoque la Révolution tunisienne, la demoiselle, révolte en étendard, provocation joyeuse au ventre, assène, à rebours des propos de certains hommes politiques sur l’immigration : "Y’a d’la place en France. Place de la Bastille, Place de la Nation, Place de la République (…) !".
Baskets bien ancrées au sol, la rappeuse douce-amère, une trentaine d’années au compteur, lunettes et cheveux interminables, éructe ses mots, des punchlines qui jaillissent brutes. De sa voix tranchante, acide, affûtée, de son flow viscéral, elle les lance comme des uppercuts, des couteaux plantés au sol. Poétique et dense, son verbe imagé et sans concession, en couleurs, serti d’argot et de gros mots bien pesés, rugit contre l’éradication des Indiens d’Amérique (Isabelle la Catholique), tisse des toiles existentielles au parfum d’urgence (La Mine et la Gomme), peint, par son prisme tendre, son pays d’origine, le Pérou (Limalimon)… Et puis, dans son hymne identitaire, allègrement partagé sur les réseaux sociaux, la jeune femme scande "Je suis une bâtarde !", repris en chœur par le public : un chapelet de mots où elle égrène ses contradictions, ses métissages internes, ses doutes. Derrière les phrases de la guerrière, se devinent alors les failles et les blessures… Insaisissable, Billie Brelok ?
L’écriture au cœur
Sous le pseudo, se dévoile, après le show, hors scène, hors cadre, une jeune femme qui veut taire, pour les médias, son nom de baptême. Sur son blaze anti bling-bling, elle confie : "Au fil du temps, j’ai traficoté ce nom, qui rappelle la sonorité du 'bilboquet', à la silhouette proche du micro. Dans ce jeu d’adresse et d’équilibre, comme avec les mots, il s’agit de viser juste. J’aime le côté Brelok : ce bric-à-brac d’objets qui content de grandes histoires !"
Sa passion pour les mots remonte à l’enfance. Gamine, déjà, elle aime tracer des signes, dessiner des lettres... Plus tard, elle forge des textes pour le théâtre… Partout, des sons, des mots, lui happent l’oreille. Chez elle, à Nanterre, au pied des immeubles, des rappeurs sculptent leurs lyrics, impulsent leurs beats, des graffeurs repeignent les murs, en couleurs vives, tels ses potes du crew FATSK… "Je voyais ceux qui rappaient dans mon quartier, dans ma réalité, et je me suis dit : finalement, tout le monde peut le faire ! J’étais fascinée par la puissance de frappe des mots, leur précision, leur influence…"
Qu’à cela ne tienne : lors d’une soirée Open Mic, Billie Brelok essaime ses premiers vers. "J’ai découvert ma voix : une impression étrange. Il fallait faire avec", dit-elle. Découvrir sa voix, suivre sa voie… Fiévreuse, elle écrit sur les sujets qui lui "attrapent le cerveau", brandit ses armes sur les planches. "Contrairement au théâtre, où je pesais mes mots, le rap m’offrait la possibilité d’être ultra-subjective : le haut-parleur de ma voix. J’écris ce qu’il y a dans mon paysage, et dans le même temps, je me sens soumise à une grande responsabilité, celle de saisir l’espace public, pour dénoncer, raconter, signifier…".
Lauréate des Inouïs du Printemps de Bourges, auteur d’un premier EP, L’embarras du Choix, pour le vertige des routes qui lui sont offertes, Billie Brelok vise loin, espère des "chemins curieux, inattendus, toujours en écriture". Une route assurément pavée de lettres et de mots qui tintent, s’entrechoquent, brillent, s’impriment et sonnent.
15 jours de hip hop non-stop
Durant deux semaines, depuis dix ans, le festival Paris Hip Hop (19 juin-6 juillet) place sous les projecteurs les disciplines du mouvement : danse, graff et musique ! Petite mise en bouche.
Juste après la prestation de Billie Brelok, sur la scène du Café La Pêche, les rappeurs de Phases Cachées ont délivré leur cocktail sur-vitaminé : celui d’un trio de MC charismatiques, au flow acéré, qui surfe sur des vibes reggae bien chaloupées. La soirée fut ainsi l’occasion, au cœur de Paris Hip Hop 2015, de découvrir ces nouvelles plumes, ces énergies inédites de la "relève" du rap hexagonal.
Depuis dix ans, ce festival parisien, parrainé cette année par Sidney, animateur de l’historique émission H.I.P.H.O.P (1984), met à l’honneur, dans la capitale et ses banlieues, grand berceau du hip hop européen, toutes les couleurs, toutes les disciplines, de ce mouvement né du bitume, de la rébellion et du cri des "quartiers"…
Au menu ? De la danse – Paris Danse Hip Hop au Casino de Paris le 22 juin dernier, Beat Dance Contest, le 27 juin à la Gaîté Lyrique, ateliers, masterclass –, du cinéma, des conférences, des expositions, du graffiti – l’expo Face au Mur, à l’ancienne caserne de Reuilly, désaffectée, investie par des artistes – et bien sûr, de la musique ! Quelques concerts d’anthologie s’annoncent ainsi pour les jours à venir : le 1er juillet, la Cliqua, composée de Daddy Lord C, Rocca et Kohndo, groupe pilier du rap français, dynamitera le Trabendo, avec sa reprise du disque mythique
Conçu pour durer, qui souffle ses 20 bougies ; le lendemain, la Plage Glaz’Art reçoit, entre autres, le tout jeune Guizmo et ses
punchlines acérées. Vendredi 3, l’ex-leader du
Saïan Supa Crew, Sly Johnson, enchantera les Berges de Seine avec son dernier album
#TheMicBuddahLP. Enfin, le 5 juillet, le cultissime collectif US Wu-Tang Clan enflammera le Zénith.
Bref ! Ces quinze jours célèbreront les facettes multiples de ce mouvement, qui s’impose comme l’une des plus grandes révolutions culturelles de ces trente dernières années… Quinze jours de festival pour illustrer l’immortel proverbe d’Afrika Bambaataa, l’un des créateurs du hip hop : "Peace, unity, love, and having fun".