Chilly Gonzales se joue du français

L'artiste québécois Chilly Gonzales. © Anka

Le musicien et compositeur canadien installé à Paris se met au français et s’amuse avec la langue de Molière dans son album "French Kiss". Autour de son piano, Chilly Gonzales a convié de nombreux invités, dont Juliette Armanet, Arielle Dombasle et même Richard Clayderman. Rencontre.

RFI Musique : Écrire en français, quelles impressions ? 

Chilly Gonzales : C’est libérateur ! Je suis plus direct qu’en anglais, car j’ai moins de choix pour formuler des phrases. Et je peux jouer avec les mots comme un Français ne pourrait pas se le permettre. Ma façon de parler dans la vie de tous les jours est parfois très directe, car je ne suis pas entraîné à la diplomatie ou à la séduction française. Il y a plein de codes que je ne maîtrise pas. C’est à la fois libérateur et limitant. Ma grande question était : puis-je être Chilly Gonzales en français ? Je suis extrêmement reconnaissant à Teki Latex de m’avoir entraîné. 

Quel a été son rôle ? 
Avecc Pierre Grillet (À Cause des garçons, Madame Rêve …), il a été mon ghost writer. J’utilise ce mot anglais pour éviter l’équivalent français très offensif [offensant, NDLR] … Cela m’a permis de traduire mes idées dans un français qui pourrait passer. Après Piano à Paris, écrit quand j’attendais la livraison de mon piano sur une mélodie façon Michel Legrand, puis Wonderfoule, j’ai ensuite continué seul à écrire les textes. 

Avec beaucoup de jeux de mots… 
… que des Français n’oseraient pas, comme faire rimer "pomme de terre" avec "Hitler" ! Même Orelsan ne l’aurait pas fait. Le français se prête aux jeux de mots, c’est l’une des raisons pour laquelle Lacan est devenu un grand psychanalyste et philosophe. Il reconnaissait que la langue se prêtait à de petits accidents de significations, comme la mère/l’amer… Pour quelqu’un dont ce n’est pas la langue maternelle, comme moi, je joue plus sur des sonorités, même si c’est bête. Je suis moins soigneux, c’est la chance du débutant. Un peu comme sur les petits trottoirs de Paris : je suis grand et pas très gracieux, je ne peux pas parler gracieusement sur les trottoirs de la langue. Mon accent fait qu’on sait que je ne suis pas Français mais on ne sait pas d’où je viens. C’est une bonne métaphore de ma carrière : on sait que je fais de la bonne musique sans pouvoir me ranger dans une case. 

Allitérations et calembours sont nombreux...
J’adore ce mot "calembour" ! Je l’ai appris il y a quelques mois. Une allitération comme "Piano à Paris / Paris m’est apparue" fait sens pour moi. "C’est wonderfoule de prendre un bain de foule", c’est un peu comme "Formi, formi, formidable" de Monsieur Aznavour, mais en version bilingue. Gonzo, qui rime avec gigolo, kimono ou film porno, cela préexistait dans le personnage de Chilly Gonzales sur scène ! Je trouve des vérités dans les rimes. 

Au risque de ne pas être pris au sérieux avec ce personnage ? 
Je ne veux pas être pris au sérieux ! Pourquoi d’autres musiciens se conforment-ils pour être pris au sérieux ? Par exemple, Benjamin Biolay que je connais bien est hyper marrant en privé. J’ai créé un personnage, Chilly Gonzales, car Jason Beck cela manquait d’épices. Ça me permet d’exprimer mes fantasmes. Cela me donne une certaine impunité. C’est moi exagéré.  

Richard Clayderman invité à jouer sur cet album, ce n’est donc pas une blague ? 
Non, j’ai bien trop de respect pour lui ! C’est un très bon musicien, c’est mon papa musical. Il m’a donné envie de devenir une star du piano. Ce n’est pas parce que mes textes sont drôles que ce n’est pas la vérité, comme lorsque j’écris "Ballade pour Adeline / Ce 45 tours que j’ai écouté 45 fois par jour". En 2004, Solo Piano était un album de piano avec une approche pop. Aujourd’hui, une vague néoclassique est là avec Sofiane Pamart ou Riopy. Ce sont un peu mes enfants. Richard Clayderman a popularisé le piano et la musique instrumentale, on le snobe en Europe. 

Pourquoi chanter en français ? 
Avant, ça ne venait pas. Mais en 2022, le robinet s’est ouvert. Je me suis mis à écrire des textes en français et en anglais. Depuis une douzaine d’années, je ne faisais que de la musique instrumentale : depuis Solo Piano jusqu’à un projet avec Jarvis Cocker, en passant par Musique de Chambre ou Album de Noël. Je me cachais peut-être derrière la musique. Cet album est né dans une période très positive, comme le raconte Nos meilleures vies

Mais toujours avec une certaine mélancolie… 
La mélancolie est la marque de fabrique de mes albums de piano. Il y a la constante de ces accords mineurs avec ces notes bleues, ces accords qui racontent l’espoir, un même monde harmonique. En tant que compositeur, je suis très influencé par les couleurs de la musique classique, en tant que pianiste, plutôt par le côté joueur du jazz. 

Chilly Gonzales French Kiss (Gentle Threat/Pias) 2023

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