Cassius, rescapés de la French Touch
Si l'électro hexagonale n'a plus le lustre des années French Touch, certains, comme le duo Cassius, n’ont toujours pas rangé au placard leur science des rythmes en boîte. Mieux, les deux bricoleurs de sampleurs et autres machines à son la peaufinent joliment sur 15 again, troisième album aussi frais qu’artistiquement mûr. Rencontre avec Philippe Zdar et Boom Bass, grands garçons sur le papier qui disent avoir retrouvé leurs 15 ans avec ce carambolage tech-rock-funk.
RFI Musique : 15 again sous-entend que vous avez retrouvé la fraîcheur de vos jeunes années. C’est un anti-album de la maturité ?!
Zdar : C’est l’album du "lâcher prise". Pas de prise de tête. On le fait, vite fait, bien fait. Et ce qu’on a à la fin du temps imparti, on le sort ! Hubert vient de m’apprendre comment arrêter d’essayer de faire comme Stanley Kubrick (sourire), de faire des trucs incroyables qui à la fin ne marchent pas…
Boom Bass : 15 again, c’est aussi faire de la musique avec une certaine insouciance. Alors qu’avant, on avait tendance à analyser nos productions pendant 48h, pour être sûr que c’était bien…
Z : Puis à analyser les 48h pendant une semaine, puis la semaine en un mois...
L’idée, c’est de se dire que tout ça n’est "que" de la musique…
BB : Et surtout que ça doit être un plaisir à écouter aussi. On n’est pas non plus en train de faire du jazz, on n’est pas Miles Davis ou Coltrane… Et encore, ce qui est fabuleux dans leur musique, c’est quand c’est extrêmement compliqué mais simple à écouter. La musique compliquée à écouter et à faire, c’est très pénible. Ça n’intéresse que ceux qui la font.
Z : C’est aussi une histoire d’expérience. On voulait garder ce premier jet qui -je le sais d’expérience, en tant que mixeur sur des disques- est toujours le meilleur. Quand on a commencé à bosser, il y avait toujours le “syndrome de la cassette” : la maquette qui est mieux que le mix !
Votre précédent album Au rêve avait obtenu un accueil plutôt discret, alors même que l’intérêt pour l’électro made in France s’estompait. Rétrospectivement, vous pensez qu’il est arrivé au mauvais moment ?
Z : Maintenant je commence à croire aux histoires de momentum des Anglais. Tous les amateurs de musique connaissent des albums fantastiques qui n’ont pas du tout marcher. Pas uniquement parce que le mec n’avait pas une bonne gueule, ou que le manager était nul. C’est comme ça parfois. L’album Au rêve a des défauts. La maison de disques en avait aussi, l’attente du moment avait changé. C’est comme la Coupe du Monde de foot : quand tu vois que ce sont les mêmes footballeurs qui se plantaient il y a 4 ans…
BB : C’est de leur faute : s’ils avaient gagné, on aurait vendu des albums d’Au rêve !
Vous avez commis le même péché d’orgueil que ces footballeurs à l’époque ?
BB : On n’arrivait pas en petits génies, mais nous, comme notre maison de disques, sortions de la French Touch, et on pensait que ça allait se vendre par camions, que les couloirs étaient ouverts. Et qu’il suffisait d’arriver avec le disque en mettant dessus “le deuxième album des Français”... C’est un des éléments de l’histoire. En tous cas, le disque, il est toujours là !
15 again est largement orienté chanson. Avec des vrais refrains, un côté rock assumé. Vous voyez une forme de survie artistique à vous détacher de l’étiquette électronique ?
BB : Non. Et puis il faut quand même toujours une étiquette. Je pense qu’il faut qu’on reste un groupe électronique. Mais on s’est toujours remis en question depuis qu’on bosse ensemble. Depuis Solaar, Motorbass, la Funk Mob… il y a une évolution, un changement quasiment à chaque disque. Mais pas de calcul du genre, "sortons de l’étiquette" etc.
Z : La survie pour nous, c’est qu’on a tous les deux une haute idée de la musique. Il fallait changer, évoluer, faire un truc nouveau. Sinon, je n’aurais même pas pu me regarder dans la glace.
BB : Chaque artiste a envie d’avoir sa propre identité. A un moment, on s’est retrouvé un peu dans la dance, et ça m’a rendu dingue ! Parce que c’est une musique que j’exècre totalement. Enfin, les DJs avec les bandeaux dans les cheveux … Dès que tu as un tube de boîte, tu te retrouves parmi tout ça. L’étiquette électronique ne me dérange pas, parce qu’il y a plein de trucs fabuleux, que c’est en progression permanente. Mais ces amalgames sont compliqués à gérer.
C’est ce qui à vos yeux crée une certaine incompréhension du genre ?
BB : Pour le grand public, à partir du moment où tu n’es pas un groupe avec des tatouages et des cheveux gras, tu es dans l’électronique ! Si tu es habillé en Parisien, tu es dans la chanson française. Il y a la chanson française, la musique black, le rock et l’électronique. Et déjà, ça devient très compliqué pour quelqu’un qui achète trois disques par an de faire la différence là-dedans. Quelque part, ce qu’ils perçoivent de la musique électronique, c’est la dance qu’ils voient à la télévision.
Vous n’êtes pas non plus le secret le mieux gardé de l’électro !
Z : Justement : on n’est plus dans la musique électronique ! Moi je n’utilise des éléments de cette musique que pour faire de la chanson, de la pop ou ce que tu veux ! Je voudrais être dans le même bac que Prince. Ou que Outkast, ou George Michael pourquoi pas ! Je suis DJ, j’achète des disques toutes les semaines dans les endroits les plus obscurs et je sais ce que c’est que la musique électronique. La vraie, pour la trouver, il faut y aller ! Et nous on est aux antipodes de ça !
Cassius 15 again (Virgin) 2006
Cassius sera en concert au Popkomm à Berlin le 21 septembre 2006