Le spectre que balaie la compilation Lost In Mali est délimité par deux critères : un souci de faire découvrir sur le plan international ceux qui n’en ont pas encore eu la chance et une exigence de qualité, tant sur le plan artistique qu’en termes de production. Dans cette équipe d’“espoirs”, les vétérans alternent avec les plus jeunes et l’urbain de Bamako côtoie le traditionnel de la brousse.
Dans la galaxie des musiques du monde, le Mali est un des astres qui brille le plus. L’intense activité qu’on y observe n’est pas étrangère à ce phénomène. Le nombre d’artistes du cru dont les albums sont commercialisés au-delà des frontières de leur pays est là pour le rappeler. Mais bien plus rares sont les projets qui choisissent d'offrir une vision plus large, à travers une sélection de groupes et de chanteurs dont la notoriété est restée locale, pour des raisons très diverses, en dépit de réelles qualités.
La compilation Lost In Mali se situe sur cette ligne et propose une photographie, avec tout ce que cela a de subjectif et de non exhaustif, de ce qui s'est passé ces derniers temps dans certains studios de Bamako. Presque un reportage musical, est-on tenté de penser, en entendant ces bruits de la rue et ces voix d’enfants placés en ouverture du CD, avant d’entrer dans le vif du sujet avec la chanteuse Nainy Koné. Sur Ne Sabou, elle est accompagnée par le ngoni d’Andra Kouyaté, longtemps musicien pour Rokia Traoré – et qui est aussi un jeune frère de Bassekou Kouyaté, grand maître du ngoni.
Les treize morceaux réunis, soit autant d'artistes différents, ont été dénichés par le Français Philippe Sanmiguel, manager de Samba Touré et impliqué là-bas dans de nombreuses productions, ce qui lui a permis d’acquérir une solide connaissance de la scène malienne.
En demandant respectivement à l’Américain Paul Chandler, patron de Studio Mali, et à Anansy Cissé, auteur de l’album Mali Overdrive en 2014 mais aussi ingénieur de studio, s’il pouvait regarder de près ce que contenaient leurs disques durs, il y a notamment trouvé Ali Baba Cissé, “un vétéran de la musique peule/songhai”. Cet artiste originaire de la région de Tombouctou avait sorti quatre albums sur le marché domestique dans les années 90. Avec la récente chanson Kaya, sur laquelle il dit son texte, il laisse entrevoir la possibilité de donner un autre élan à sa carrière.
Parmi les protagonistes présents sur Lost in Mali, certains n’ont fait qu’un rapide passage au micro, avant de s’évanouir dans ce vaste pays sans jamais refaire parler d’eux (ce qui justifie aussi le titre de la compilation, au sens propre !). C’est le cas de Bocar Sangaré, “un griot de la brousse”, qui n’avait rien enregistré avant Diaru, à la fois récitatif et complètement passionné, dans lequel on le devine remplir son rôle sociétal à dimension mémorielle.
Le registre devient nettement moins traditionnel pour se tourner vers de fortes influences reggae lorsque Kas2Kastro évoque la déception à l’égard de la présidence actuelle à travers la chanson Adjobawla, extraite de son album Jah Rasta People paru en 2014. Le commentaire social occupe aussi une place centrale dans La Paix, composé par le groupe Alkibar Junior venu de Niafunké et soutenu par Afel Bocoum. Après Yawoyé de Sabu Doriente, longtemps membre de l’Orchestre régional de Ségou, ces 86 minutes en terre malienne s’achèvent comme elles avaient débuté, au milieu des sons qui rythment la vie quotidienne.
Compilation Lost In Mali (World Music Network) 2015