Le Bout du Monde, la croissance raisonnée d'un festival

Le Bout du Monde, la croissance raisonnée d'un festival
Cheikh Lô sur la scène du festival du Bout du Monde en 2015. © B.Brun

Depuis une bonne décennie, le Festival du bout du monde affiche une santé florissante. Aux antipodes des rassemblements démesurés, le rendez-vous qui s'est tenu ce week-end sur la presqu'île de Crozon, en Bretagne, revendique une ouverture d'esprit sans limites et un public fidèle. Pour sa 16e édition, où l'on aura notamment croisé le "reggae boy" français Biga*Ranx, rencontre avec ce festival qui revendique une croissance raisonnée.

De grosses étoiles bleues et roses illuminent le ciel, tandis qu'au loin les échos de la fête s'entrechoquent. Le ragga arrosé au pastis des vétérans marseillais de Massilia Sound System se mêle à la pop folk du Sénégalais Faada Freddy dans un grand soir ; entre tout ça, se dessine un monde de musiques métisses qui a ambiancé ce week-end la 16e édition du Festival du bout du monde.

"Les frontières, il y a bien longtemps que je les ai abolies dans ma tête, explique le producteur de spectacles Jacques Guérin, patron du rendez-vous breton. Il peut y avoir aussi bien des artistes d'Ukraine que du Mali. Toutes les musiques ont droit de cité."
 
Alors même qu'il a affiché complet pour la 12e année consécutive, le festival a réduit considérablement son enveloppe de programmation. Avec ses 1,6 million d'euros de budget, le "Bout du monde" est un poids moyen qui joue en réalité dans une autre catégorie, grâce à un public fidèle qui a rempli la jauge de 20.000 personnes par soir "deux mois avant" le début du festival.  
 
Un artiste, deux concerts
 
Créé il y a donc une quinzaine d'années "autour de gens de la presqu'île (de Crozon), tous passionnés de musique(s)", le rendez-vous breton est né avec cette idée de grandir sur un territoire au caractère bien trempé. "On voulait créer une programmation très identitaire et c'était une volonté de ne pas faire les choses comme d'autres festivals qui existent en Bretagne : le festival Interceltique de Lorient, le festival de Cornouaille. Donc, on l'a ouvert sur les musiques métissées, sur des artistes peu connus en France qu'on pouvait faire découvrir ", indique le même Jacques Guérin. En interne, le "Bout du monde" s'appuie sur 1.600 bénévoles venus des associations du coin.
 
Alors que le public a en tête Les vieilles Charrues, le mastodonte qui se tient fin juillet dans le centre Bretagne, le programmateur regarde vers des festivals comme le Paléo festival de Nyon, en Suisse, les Eurockéennes de Belfort ou encore le Hellfest, côté metal, "pour sa cohérence artistique et les choix qu'ils font".
 
"Avoir du temps, flâner, découvrir, rencontrer, aller manger un tajine, des accras de morue, on veut garder cette dimension. On aurait pu vendre 100.000 billets, mais ce n'est pas notre but. Cet adolescent qu'est le Bout du monde grandit doucement. On a mis en place les fondations. On a commencé à mettre les murs, mais on n'a pas encore posé les fenêtres", poursuit Jacques Guérin. La philosophie du festival se retrouve dans ses à-côtés plus que soignés.
 
Curiosité de ses deux scènes découvertes, il fait jouer les groupes deux fois dans une même journée. "Si un artiste a fait un bon show l'après-midi, on revient le voir le soir et ça créé des concerts de folie", explique un habitué.
 
De belles découvertes
 
Que retient-on de ces trois jours, musicalement ? Hormis le retour teinté de blues de Charlelie Couture, ce diable australien de John Butler a fait parler la poussière du festival breton avec son trio rock. Sur la grande scène, son jeu de guitare percussif a la couleur d'un bon vieux disque d'americana, si bien qu'on se croirait parfois dans le désert.
 
Mais c'est véritablement sur les petites scènes qu'on a trouvé notre bonheur. Sous le chapiteau de Seb', prompt à s'embrasser à la moindre occasion, le "panafricain" Cheikh  Lô – comme il aime à se définir- a groové terriblement. Et quand il retrouve les fûts de sa batterie, c'est simplement magique. A ce même endroit, on sera aussi tombé en amour avec les polyphonies ukrainiennes de Dahka Brakha, sans nul doute l'une des révélations de ce Bout du monde.
 
Sur la scène Kermarrec, une sorte de mini grande scène, c'est plutôt du côté latino qu'on sera allé voir, l'excellent rappeur brésilien, Criolo, le big band Orkestra Mendoza ou les Franco-Espagnols de La Cafetera Roja... bref, on aura flâné sans frontières. 
 
Biga*Ranx, phénomène digital
 
 En un peu moins de cinq ans, Biga*Ranx est devenu un petit phénomène pour une jeunesse festive. Le gars à la casquette à l'envers fait du "rub-a-dub" arrangé, c'est-à-dire un dérivé du reggae reposant sur une rythmique lourde, basse-batterie, et le "toast", le flow d'un chanteur.
 
"J'ai toujours été un amateur de U-Roy, de Dennis Alcapone, de ces personnages qui ont été les premiers à prendre le micro, à raconter des histoires. C'est tout ce qui s'est passé derrière les platines jamaïcaines, à Kingston, dans les années 70/80, avec l'école non pas des chanteurs, mais des MC, qui défendaient le flow et la rime. Je pense que ce sont les piliers, du rap, du hip hop et de tous les courants qui manient les mots", dit-il.
 
Prodige du reggae en France, Biga ne se prend pas la tête, quand bien même il a été adopté par ces légendes jamaïcaines. Après s'être échappé du lycée, c'est à 18 ans qu'il découvre la Jamaïque et qu'il y fait ses armes. Mais c'est la rencontre avec son ami Joseph Cotton à Paris qui sera déterminante, puisque cette figure de la culture deejay le prend sous son aile. 
 
A bientôt 27 ans, le garçon de Tours confirme un virage électronique, aussi bien en live que sur son troisième album, Night Bird – où il est toujours accompagné de son homme de l'ombre, Manu Digital. "J'ai appelé ça Night Bird, parce que c'est de la musique assez aérienne, qui permet un peu de s'envoler. Moi, j'aime les musiques mélodiques, atmosphériques, slow", résume-t-il.  
 
Si on l'a entendu poser quelques rimes avec les superstars du rap latino-américain, Calle 13, grâce à ses mélodies pop et ses chansons qui racontent la vie comme elle vient, son envol est clairement acté.
Page Facebook de Biga*Ranx
Site official du Festival du Bout du Monde
 

 

L'invité culture du 3 août 2015 avec Faada Freddy