27e PRINTEMPS DE BOURGES
Le 27ème Printemps de Bourges s’est achevé dimanche soir, après cinq jours de concerts payants (61.000 spectateurs) et une journée de spectacle gratuit dans la ville et sous le grand chapiteau du festival. Unanimement salué par la critique française pour l’excellence de sa programmation, cette édition du festival recevait évidemment son compte de jeunes et moins jeunes, de très grands et de moins grands noms de la chanson en France.
Gloires et nouveautés
26e PRINTEMPS DE BOURGESLe 27ème Printemps de Bourges s’est achevé dimanche soir, après cinq jours de concerts payants (61.000 spectateurs) et une journée de spectacle gratuit dans la ville et sous le grand chapiteau du festival. Unanimement salué par la critique française pour l’excellence de sa programmation, cette édition du festival recevait évidemment son compte de jeunes et moins jeunes, de très grands et de moins grands noms de la chanson en France.
Peut-on dire d’un festival qu’il est parfait? En tout cas, si cette perfection n’est pas de ce monde, la 27ème édition du Printemps de Bourges, qui a pris fin dimanche, s’en est spectaculairement approchée, avec une programmation remarquable et un souci constant du confort du public. Après les lourdes pertes de l’édition 1998, le festival s’était recentré sur sa vocation naturelle: épouser les plus intéressantes tendances du jeune public. Ainsi, Manu Barron et Doudou Davy, les deux programmateurs depuis 1999, ont-ils choisi de ne plus faire appel aux grandes vedettes des variétés, comme Eddy Mitchell ou Véronique Sanson à la fin des années 90, et de se concentrer sur le rock, la chanson ou l’électro dans leurs incarnations les plus novatrices.
Ainsi, la part des Anglo-saxons dans la programmation s’est-elle accrue, avec notamment, cette année, quelques-uns des événements les plus attendus du Printemps (le premier concert en France de la tournée de Massive Attack, une apparition en solo de Beck…). Toutefois, aucun complexe dans la programmation des Français, notamment avec le très fréquent partage de scène entre les deux langues au cours des soirées. Kana, porté par le succès radiophonique de Plantation, ouvrait ainsi une soirée reggae dans laquelle il était suivi par Patrice, le Peuple de l’Herbe et Capleton, avant que les Marseillais de Massilia Sound System ne clôturent la soirée avec leur accent chantant et leur solide sens de la scène.
De même, la dernière grande soirée dans le Phénix, le chapiteau de 6.000 places (une nouvelle structure, très réussie, qui remplace avantageusement l’ancien Igloo, sa toile trop lumineuse et ses lourds piliers qui gênaient la vue), samedi soir, voyait Dionysos trôner entre Interpol et Placebo. Le show à l’énergie du groupe, qui chante pour la troisième fois sur la plus grande scène de Bourges (après 2000 et 2002), peut apparaître comme une combinaison des concerts de Louise Attaque et de Marcel et son Orchestre – l’impeccable vertu rock et le plaisir de la sueur par pleins baquets. L’incandescente prestation du chanteur Mathias Malzieu qui, comme d’habitude, finit son concert en plongeant dans la foule, ne pouvait que monter la barre avant le passage de Placebo, vingt minutes plus tard sous le même chapiteau. Les jeunes fans du groupe américain ont alors vu un Brian Molko métamorphosé, soudain vigoureusement expansif, donner un show beaucoup plus échevelé qu’à son habitude.
Après les triomphes attendus de Renaud, Zazie ou Vincent Delerm, dont les tournées, sold out avec constance depuis belle lurette, faisaient étape à Bourges, l’émotion de la nouveauté et de l’inattendu se déplaçait vers des formes plus intimes. Ainsi le beau spectacle de Lo’Jo est-il à la fois une passionnante épopée de musiques, de la chanson française aux musiques du désert, d’un élan presque rock aux élégantes simplicités de la tradition. Le charisme de Denis Péan et la puissance des chœurs de Nadia et Amina sont aussi affaire de timbre: le son des voix est invitation au voyage, que certaines couleurs de l’instrumentation (percussions ou vielles d’outre-Méditerrannée, harmonium) confirment avec empressement. Ce concert est aussi généreux d’imagination qu’une soirée de conte: on décolle de l’étroit présent pour entrer dans des splendeurs lointaines, des atmosphères de mythe. Une chanson comme Au Cabaret sauvage est autant belle mélodie que belle histoire, quelque part entre tsiganerie venteuse, parente de Federico Garcia Lorca ou de Jean Giono, cousine autant de Goran Bregovic que de Manu Chao – l’internationale des voyageurs de musiques, ensorcelés et innocents.
Emilie Simon
On attendait également beaucoup du concert d’Emilie Simon, le cinquième de sa toute jeune carrière, quelques semaines après que son premier album eut suscité l’enthousiasme de la critique. Très belle dans une curieuse robe à grosses rayures noires et blanches, c’est une chanteuse la plupart du temps droite derrière son micro que l’on a vue à la Hune, la grande salle de la Maison de la culture de Bourges. Entourée de quatre musiciens, dont notamment l’expert en électronique Cyrille Brissot, elle avait choisi de ne toucher à aucun instrument, au contraire de son travail sur son album, qu’elle a contrôlé de bout en bout, de la composition à la réalisation.
Personnalité attachante malgré – ou à cause – de son absence presque constante de communication avec le public, d’élan généreux et, pour tout dire, d’aisance scénique, elle s’est assez vite réduite à une voix. Hélas, sa voix, très pointue, très droite, n’est pas son atout le plus convaincant. Et, curieusement, cette voix a fini par devenir, au bout de quelques chansons, l’élément le moins séduisant du concert. Car l’inquiétude qui sourd de ses compositions, sa manière assez solennelle de poser les émotions, de générer un large espace rêveur, tout cela est prometteur, avec peut-être une écriture plus originale et plus intime en français qu’en anglais – car Emilie Simon alterne les deux langues, ce qui laisse deviner çà et là, sur son disque, une possible influence de Björk qui semble se dissoudre sur scène.
L’atmosphère est parfois très cathédrale, comme dans I Wanna Be Your Dog, et volontiers heurtée. Cela dit, c’est le son qui prend la première place, sur scène, autant parce qu’elle ne parvient pas encore à s’imposer personnellement, que par l’excellence du travail de Brissot. En effet, il joue beaucoup, dans la construction du son électronique, sur l’abolition des distances. Ainsi, l’on entend d’énormes craquements de brindilles, de très discrets fracas industriels, de complets renversements des perceptions, dans une sophistication d’étagement et une palette sonore extrêmement novatrices.
Cette idée même que le son puisse changer la perception que l’on a des chansons, la Tordue l’expérimente de façon spectaculaire, avec l’arrivée d’un batteur et d’un bassiste dans le groupe. Rapprochant souvent les chansons du reggae, la nouvelle rythmique durcit aussi le ton, et correspond bien à la tonalité souvent très politique des chansons du dernier album – moins magique qu’en trio acoustique, mais sans aucun doute plus efficace devant un public debout dans la large chaleur d’une salle rock.
Avec la Tordue, on a aussi découvert Marguerite, la fameuse "Margo, la reine, la fleur, la pépite", que Benoît Morel chantait sur l’album T’es fou. Elle a grandi, donc, Marguerite, brune écolière aux cheveux longs, qui vient répéter dans la chanson La vie c’est dingue son fameux mot d’enfant qui enchante tant les auditeurs de la Tordue – " L’important, c’est d’être pas mort ". Très à l’aise, elle reçoit à chaque fois avec simplicité l’ovation de la foule. Et, tard le soir, alors qu’au Magic Mirrors réservé à l’aftershow des festivaliers, on voit ses deux compères Eric Philippon et Pierre Payan boire une bière coude à coude avec Brian Molko, le chanteur de la Tordue est allé coucher sa fille…
Bertrand Dicale
De même, la dernière grande soirée dans le Phénix, le chapiteau de 6.000 places (une nouvelle structure, très réussie, qui remplace avantageusement l’ancien Igloo, sa toile trop lumineuse et ses lourds piliers qui gênaient la vue), samedi soir, voyait Dionysos trôner entre Interpol et Placebo. Le show à l’énergie du groupe, qui chante pour la troisième fois sur la plus grande scène de Bourges (après 2000 et 2002), peut apparaître comme une combinaison des concerts de Louise Attaque et de Marcel et son Orchestre – l’impeccable vertu rock et le plaisir de la sueur par pleins baquets. L’incandescente prestation du chanteur Mathias Malzieu qui, comme d’habitude, finit son concert en plongeant dans la foule, ne pouvait que monter la barre avant le passage de Placebo, vingt minutes plus tard sous le même chapiteau. Les jeunes fans du groupe américain ont alors vu un Brian Molko métamorphosé, soudain vigoureusement expansif, donner un show beaucoup plus échevelé qu’à son habitude.
Après les triomphes attendus de Renaud, Zazie ou Vincent Delerm, dont les tournées, sold out avec constance depuis belle lurette, faisaient étape à Bourges, l’émotion de la nouveauté et de l’inattendu se déplaçait vers des formes plus intimes. Ainsi le beau spectacle de Lo’Jo est-il à la fois une passionnante épopée de musiques, de la chanson française aux musiques du désert, d’un élan presque rock aux élégantes simplicités de la tradition. Le charisme de Denis Péan et la puissance des chœurs de Nadia et Amina sont aussi affaire de timbre: le son des voix est invitation au voyage, que certaines couleurs de l’instrumentation (percussions ou vielles d’outre-Méditerrannée, harmonium) confirment avec empressement. Ce concert est aussi généreux d’imagination qu’une soirée de conte: on décolle de l’étroit présent pour entrer dans des splendeurs lointaines, des atmosphères de mythe. Une chanson comme Au Cabaret sauvage est autant belle mélodie que belle histoire, quelque part entre tsiganerie venteuse, parente de Federico Garcia Lorca ou de Jean Giono, cousine autant de Goran Bregovic que de Manu Chao – l’internationale des voyageurs de musiques, ensorcelés et innocents.
Emilie Simon
On attendait également beaucoup du concert d’Emilie Simon, le cinquième de sa toute jeune carrière, quelques semaines après que son premier album eut suscité l’enthousiasme de la critique. Très belle dans une curieuse robe à grosses rayures noires et blanches, c’est une chanteuse la plupart du temps droite derrière son micro que l’on a vue à la Hune, la grande salle de la Maison de la culture de Bourges. Entourée de quatre musiciens, dont notamment l’expert en électronique Cyrille Brissot, elle avait choisi de ne toucher à aucun instrument, au contraire de son travail sur son album, qu’elle a contrôlé de bout en bout, de la composition à la réalisation.
Personnalité attachante malgré – ou à cause – de son absence presque constante de communication avec le public, d’élan généreux et, pour tout dire, d’aisance scénique, elle s’est assez vite réduite à une voix. Hélas, sa voix, très pointue, très droite, n’est pas son atout le plus convaincant. Et, curieusement, cette voix a fini par devenir, au bout de quelques chansons, l’élément le moins séduisant du concert. Car l’inquiétude qui sourd de ses compositions, sa manière assez solennelle de poser les émotions, de générer un large espace rêveur, tout cela est prometteur, avec peut-être une écriture plus originale et plus intime en français qu’en anglais – car Emilie Simon alterne les deux langues, ce qui laisse deviner çà et là, sur son disque, une possible influence de Björk qui semble se dissoudre sur scène.
L’atmosphère est parfois très cathédrale, comme dans I Wanna Be Your Dog, et volontiers heurtée. Cela dit, c’est le son qui prend la première place, sur scène, autant parce qu’elle ne parvient pas encore à s’imposer personnellement, que par l’excellence du travail de Brissot. En effet, il joue beaucoup, dans la construction du son électronique, sur l’abolition des distances. Ainsi, l’on entend d’énormes craquements de brindilles, de très discrets fracas industriels, de complets renversements des perceptions, dans une sophistication d’étagement et une palette sonore extrêmement novatrices.
Cette idée même que le son puisse changer la perception que l’on a des chansons, la Tordue l’expérimente de façon spectaculaire, avec l’arrivée d’un batteur et d’un bassiste dans le groupe. Rapprochant souvent les chansons du reggae, la nouvelle rythmique durcit aussi le ton, et correspond bien à la tonalité souvent très politique des chansons du dernier album – moins magique qu’en trio acoustique, mais sans aucun doute plus efficace devant un public debout dans la large chaleur d’une salle rock.
Avec la Tordue, on a aussi découvert Marguerite, la fameuse "Margo, la reine, la fleur, la pépite", que Benoît Morel chantait sur l’album T’es fou. Elle a grandi, donc, Marguerite, brune écolière aux cheveux longs, qui vient répéter dans la chanson La vie c’est dingue son fameux mot d’enfant qui enchante tant les auditeurs de la Tordue – " L’important, c’est d’être pas mort ". Très à l’aise, elle reçoit à chaque fois avec simplicité l’ovation de la foule. Et, tard le soir, alors qu’au Magic Mirrors réservé à l’aftershow des festivaliers, on voit ses deux compères Eric Philippon et Pierre Payan boire une bière coude à coude avec Brian Molko, le chanteur de la Tordue est allé coucher sa fille…
Bertrand Dicale