Baron Black, nouveau prince du bèlè

Baron Black, nouveau prince du bèlè
© Mara Greco

Après avoir toasté en sound system pendant près de vingt ans, le Martiniquais Baron Black renoue avec ce qui fait l’âme de la Martinique : bèlè, chouval bwa, tambours, ti-bwa, voix et sens. Un rapprochement réussi, grâce à l'album Tradisyon Mwen, qui permet au baron du ragga d’acquérir ses lettres de noblesse : le voilà prince du bélé.

Itinéraire peu commun que celui de Baron Black. Il fait ses classes au début des années 1990 dans les sound systems de Martinique, devient toaster et DJ du collectif reggae dancehall Big Famili. Et puis en 2007, alors qu’il est en tournée à Prague, il apprend que sa mère est condamnée par la maladie. Il sort alors sa petite flûte en bambou dont il ne sépare jamais et compose Man Mwe, une "prière de protection" pour sa mère. Elle ne survivra pas à la maladie. Point de rupture, point de départ. C’est ce premier morceau qui ouvre Tradisyion Mwen, premier album solo de Baron Black, qui redore le blason du bèlè, genre traditionnel martiniquais, trop souvent marginalisé auprès de la jeunesse.

Virage

Installé en banlieue parisienne depuis 2001, Baron Black, benjamin d’une fratrie de quatre enfants, gardait avec son île un lien ténu incarné par sa mère, Madame Maggy. "Depuis son passage de l’autre côté, quand j’allais en Martinique, quelque chose d’essentiel me manquait… Du coup, je suis allé le chercher dans la musique : dans le bèlè, le chouval bwa, différents rythmes des Antilles", explique Baron Black.

Virage intime, ce retour aux sources est aussi une révolution musicale, où les instruments traditionnels tiennent une place de choix. "En fait, j’ai toujours eu cette musique en moi. Quand j’étais enfant, je ne pouvais pas passer devant un groupe de tambours sans m’arrêter pour écouter. J’ai appris à jouer du ti-bwa, qui est un instrument difficile à maîtriser. Mon grand-père était un fervent défenseur du dan-miè, une danse de combat qu’on danse sur le bélè".

Il aura fallu attendre deux décennies pour que cette fascination le rattrape. Il n’est jamais trop tard et cette nouvelle direction musicale a largement séduit en Martinique. Sur Tradisyion Mwen, on retrouve un casting d’exception: Dédé Saint-Prix, le chantre du bèlè et du chouval bwa, Kali, le reggaeman insulaire, le double de toujours, King Kalabash, Nèg Lyrical pionnier du hip hop créyol et enfin Valérie Louri, talentueuse rénovatrice du bèlè.

Même Eugène Mona, décédé en 1991, est là par le biais d’une reprise très roots de Bwa Brilé, rythmée par les percussions nyabinghi de Jamaïque. "Ma mère aimait beaucoup Eugène Mona. Je voulais reprendre ce morceau car symboliquement, il est très fort. Mona parle en paraboles et en même temps, il est très explicite : Bwa Brilè, c’est le chant des opprimés qui s’adresse à la fois à la population et aux hommes politiques", rappelle Baron Black.

Politique

Tradisyon Mwen tient aussi du propos fort, en premier lieu parce qu’il réhabilite les tambours : "en Martinique, cette culture est gardée par les anciens, on délaisse nos valeurs traditionnelles, alors qu’en Guadeloupe, la tradition est conservée et la société est plus soudée. Les tambours, c’est l’unité, c’est plus qu’une simple musique, c’est rassembleur, politique".

En partant de son expérience de la douleur sur Man Mwe, Baron Black renoue avec les rythmes de l’île mais plonge aussi dans son quotidien. Chlore d’Econe, le single du disque enregistré avec Dédé Saint-Prix est largement diffusé sur les ondes martiniquaises. Il alerte la population des dangers du chlore d’écone, ce pesticide utilisé dans les plantations de bananes. "C’est une vraie problématique de société, c'est complètement tabou en Martinique. Personne n’en parle, alors que les sols sont contaminés et les taux de cancers de la thyroïde et de la prostate explosent…" insiste Baron Black.

Pote Mannev a été enregistré en pleine grève générale et le très beau morceau Mi Yo – sur lequel on entend la trompette soyeuse de Roy Hargrove-, rend hommage à la tribu des Kongos, engagé dans les luttes politiques et sociales de la Martinique au XIXe siècle. L’une des réussites de l’album est aussi l’entraînant Toujou Rileve, chanté et toasté avec le chanteur Natwal, sur une rythmique de guitare et percussions. Les deux voix célèbrent en créole la combativité des Martiniquais, malgré les drames de l’histoire du XXe siècle : éruption de la montagne Pelée en 1902 et cyclones dévastateurs. Points de rupture, points de départ. Comme ce jour d’automne, où Baron Black a pris sa flûte à Prague, pour composer une prière à sa mère. Quatre ans plus tard, il s’est lui aussi relevé et chante sa tradisyon, debout.

Baron Black Tradisyon mwen (Black house music/Socadisc) 2011